Le Prix Seligmann contre le racisme 2005

a été remis le mercredi 7 décembre 2005, dans les Grands Salons de la Sorbonne

par Maurice QUENET, Recteur de l’Académie, Chancelier de l’Université de Paris,

Françoise SELIGMANN et les membres du Jury

à Fatima Besnaci-Lancou, pour son ouvrage « Fille de Harki » aux éditions de l’Atelier.

Discours Sorbonne – 7 décembre 2005 – Fatima Besnaci-Lancou

“M. Le Recteur de l’Académie de Paris, Maurice QUENET, Madame Françoise Seligmann, Mesdames et Messieurs les membres du jury, Mesdames et Messieurs représentants de la société civile, très cher(e)s Ami(e)s, je dois tout d’abord vous dire  la joie et l’émotion que je ressens ce soir.
Vous dire aussi combien je me sens honorée par ce que je dédie à tous ceux qui partagent des combats qui ont en commun  le souci de l’autre, le souci de l’Homme, le souci de la paix.
Je voudrais ainsi, associer à ce moment  toutes les femmes et les hommes de bonne volonté qui oeuvrent, avec force et détermination, pour accueillir celui que l’on rejette. Pour entendre celui que l’on n’écoute plus. Mais aussi ceux qui refusent les mots de désillusions et de véhémence. Ceux qui s’opposent à toute nouvelle déchirure fraternelle. Ceux dont la fraternité n’a pas de couleur de peau. Ceux qui luttent contre l’obscurantisme.
Mais je ne peux aller plus avant sans rappeler que Françoise SELIGMANN, en mémoire de son mari, François-Gérard SELIGMANN, a créé en 2004 ce prix pour honorer, comme elle nous le dit, « ceux qui participent au combat pour la victoire de la raison et de la tolérance ».
Présidente d’honneur de la section française de la Ligue des droits de l’homme, résistante contre le nazisme durant la Seconde Guerre mondiale, elle militera activement dès 1957, nous le savons, pour la paix en Algérie.
Alors, grâce à l’esprit éclairé et digne de cette grande dame courageuse qui est à saluer et à honorer, aujourd’hui est un moment important pour  témoigner de la volonté de paix, dans la dignité,  d’hommes,  de femmes et d’enfants qui ont subi de plein fouet la guerre d’Algérie et ses conséquences.
Ces hommes et ces femmes sont nombreux. Et les Harkis font partie, assurément, de ceux-là. Et je suis, comme vous le savez « fille de harki »
Ces harkis, qui à ce jour sont de nationalité algérienne ou française, mais toujours d’origine arabo-berbère, s’étaient retrouvé, selon les historiens, pendant cette guerre, du côté de l’Etat français, par choix quelquefois, par hasard souvent ou  même,  par force pour un grand nombre d’entre eux.  Voilà peut-être une description somme toute expédiée de ce groupe d’hommes rassemblés jusqu’à ce jour en communauté de destin.
Mais cela étant dit, mon livre qui vient d’être primé, aujourd’hui, parle de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants que l’histoire n’avait, d’abord, pas épargné des tourments et des injustices de la colonisation. S’ensuivra une guerre d’une telle violence qu’elle génèrera une guerre civile qui aura tôt fait de déchirer, sans conteste et durablement, le tissu social et brisera des familles de manière définitive. Ensuite, la fin de la guerre avec l’abandon dramatique de ces populations en Algérie et enfin, pour une grande partie d’entre eux leur relégation dans les camps, en France, souvent derrière des barbelés. Quarante ans après, un retour sur leur terre natale leur est parfois refusé, qu’ils soient vivants ou qu’ils soient morts.
Sans un déclic qui s’est produit il y a tout juste 4 ou 5 ans, j’aurais pu m’accommoder de ces injustices et attendre que passe le train de l’histoire. Cela ne s’est pas fait et c’est finalement tant mieux. Et je profite de l’occasion qui m’est donné ce soir de m’exprimer publiquement pour rendre hommage à tous ceux qui ont lutté et qui luttent encore aujourd’hui pour que soit reconnue l’injustice faite à ces hommes et à leur famille, ceux qui y travaillent de manière individuelle, comme ceux qui militent au sein d’associations  en général et à toutes les associations dites des Droits de l’Homme  en particulier.
Parmi ces militants et avec des descendants d’immigrés algériens, un travail en commun a été réalisé en 2004 pour rédiger ce que nous avons intitulé :  « Un manifeste pour la réappropriation des mémoires confisquées ». Pour ma part, je suis très fière d’avoir participé à ce travail. Travail qui met en évidence :

  • Le fait qu’il n’existe pas de dualité simpliste qui voudrait qu’il y ait des bons d’un côté et des méchants de l’autre,
  • et qui met en évidence des trajectoires qui retrouvent leurs origines communes dans l’histoire coloniale de notre pays.

Aussi, ce prix, je le dédie, par un juste retour des choses, en toute fraternité et en toute lucidité à toutes les victimes, civiles et militaires,  de la guerre d’Algérie, sans exception aucune et à toutes les victimes des guerres en général.
Ce prix appartient d’emblée à toutes celles et à tous ceux qui luttent contre l’injustice et l’intolérance et qui conjuguent l’éthique au quotidien. À ceux qui souffrent de l’incompréhension des autres.
Si la création de ce prix, qui m’est décerné aujourd’hui, est ressentie, par tous ces oubliés de l’histoire, comme un acte valeureux et éthique, c’est d’abord parce que cette création rappelle le souci de l’égalité entre les Hommes, la valorisation des droits de l’Homme et de la dignité humaine.
Ainsi, dans le sillage de René CASSIN, père spirituel et rédacteur principal de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, adoptée par les Nations Unies, le 10 décembre 1948, je souhaite que nous fassions  partie de ceux qui agiront pour « effacer toute frontière entre les hommes, reconnaissant à chacun d’entre eux les mêmes droits inséparables à la dignité d’être […] et soulever ou adoucir le fardeau d’oppression et d’injustice dans le monde ».
C’est ainsi, dans cet esprit et dans la lettre de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, que je souhaitais inscrire mon propos.
Nous resterons plus proches des êtres que des idéologies, en s’attelant, sans relâche, à mener une  mission humaniste, en se consacrant à la justice et à la défense de la dignité humaine et je partage les propos de Martin Luther King qui a dit ceci :  « je m’interdis d’obéir à la philosophie ancienne œil pour œil car celle-ci finit par rendre tout le monde aveugle »
Mesdames et Messieurs les membres du jury, je vous remercie à nouveau pour l’honneur  que vous me faites en m’attribuant ce prix et merci également  à toutes et à tous d’être venus ce soir pour partager ce moment.”